Les Oiseaux exotiques qui chantent dans cette
partition ont de merveilleux plumages colorés. Ces couleurs très vives
sont dans la musique : toutes les couleurs de l'arc-en-ciel y
circulent, y compris le rouge, couleur des pays chauds et du beau
Cardinal de Virginie ! Mais il y a aussi le Mainate hindou (noir à
cou jaune) qui pousse des cris singuliers. Le Verdin à front d'or (tout
vert comme une feuille au printemps) qui fait un gazouillis varié. Le
Troupiale de Baltimore (plumage orange et noir) qui fait des vocalises
joyeuses. Le Tétras Cupidon des prairies qui possède des sacs aériens
lui permettant de pousser des gloussements mystérieux (genre cor de
chasse) contrastant avec des cris aigus suivis de longues désinences
dirigées vers le grave. Le Moqueur polyglotte (gris, rose, brun fauve
strié de blanc) fait des strophes cuivrées, staccato, riches en
harmoniques, de caractère incantatoire. L'Oiseau-Chat (gris ardoise)
débute ses strophes par un miaulement. Le Shama des Indes (noir bleuté,
ventre orangé, longue queue étagée blanche et noire) est un merveilleux
chanteur dont le répertoire est fait de percussions rythmées, de
batteries sur deux sons disjoints et d'éclatantes fanfares au timbre
cuivré. C'est sa voix qui dominera tout le tutti final. Le Garrulaxe à
huppe blanche est un gros oiseau vivant dans l'Himalaya. Il est
terrifiant par son aspect et par ses vociférations implacables. Le
Merle migrateur, confié aux deux clarinettes, égaie tout le tutti
central. Chantent aussi : le Merle de Swainson, la Grive ermite,
le Bulbul Orphée et la Grive des bois, dont la fanfare éclatante,
ensoleillée, termine la première et ouvre la dernière cadenza du piano
solo. L'oeuvre comporte aussi des rythmes grecs et hindous, confiés à
la percussion. Deçî-Tâlas de l'Inde antique, système de
Çârngadeva : Nihçankalîla, Gajalîla, Laksmîça, Caccarî,
Candrakâla, Dhenkî, Gajajhampa - et de la théorie karnâtique :
Matsya-Sankirna, Triputa-Mishra, Matsya-Tishra, Atatâla-Cundh. Parmi
les rythmes grecs, on trouve des pieds composés au mètre :
Dactylo-Epitrite, puis des vers à mètres composés : lambélégiaque,
et enfin des vers logaédiques : Asclépiade, Saphique, Glyconique,
Aristophanien, Phalécien, Phérécratien.
Remarquer le dialogue entre le Cardinal de Virginie (au piano) et le
Moqueur polyglotte (aux cors et trompette), dans le tutti central.
Remarquer, en plus du piano solo, l'importance du xylophone et des deux
clarinettes dans le tutti central. Remarquer l'emploi des deux cors
dans le tutti final - et encore, dans toute l'oeuvre, l'opposition de
timbres entre les rythmes secs et clairs du wood-block et les rythmes
auréolés de résonances des gongs et tam-tams.
Plus que la forme, plus que les rythmes et plus que tous ces timbres,
il faut entendre et voir dans mon oeuvre, des sons-couleurs. Il y a
dans les parties de cors du deuxième tutti : de l'orangé, mêlé
d'or et de rouge - il y a, dans la première et dernière cadenza de
piano solo : du vert et de l'or. Le tutti central mélange en
spirales colorées, en tournoiements d'arcs-en-ciel entremêlés :
des bleus, des rouges, des orangés, des verts, des violets et des
pourpres...
Les Oiseaux exotiques ont été composés entre le 5 octobre 1955 et le 3
janvier 1956, et ont été joués dans toutes les grandes villes d'Europe
et des deux Amériques, en Scandinavie et au Japon. Dans presque toutes
ces exécutions, Yvonne Loriod jouait le piano solo.
Olivier Messiaen
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