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Actualité du Vendredi 31 Octobre 2003 à 20h30

CONCERT MANCA 2003 - Orchestre Philharmonique de Nice

ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE NICE
Pascal ROPHE direction


Iannis XENAKIS "Jonchaies" (1977)
Pour grand orchestre  17’

Ivo MALEC "Arc-en-Cello"
Philippe Muller violoncelle
Pour violoncelle et grand orchestre   28’
Création mondiale


Entracte

Edgar VARESE "Amériques" (1929)
Pour grand orchestre   23’

Fin du concert : 22H00

Commencer un festival qui a pour titre " les temps réels " sans électronique n’est en fait qu’un paradoxe apparent. En effet, depuis quelques années on peut vérifier queles nouvelles technologies ont largement contaminé l’écriture orchestrale de bon nombre de compositeurs. Iannis Xenakis, Ivo Malec et Edgar Varèse sont à eux trois largement représentatifs de cette manière de faire : Xenakis a le premier utilisé une pensée globale pour mettre en œuvre des masses sonores organisées par des lois statistiques. Ivo Malec a été l’un des premiers compositeurs à partager son énergie créatrice avec autant de bonheur entre les studios et la partition. Quant à Edgar Varèse, avec le " poème électronique ", il est tout simplement l’auteur d’une des premières œuvres pour bande magnétique. Rappelons d’ailleurs que cette œuvre a été créée en 1958 au Pavillon Philips de Bruxelles construit par Le Corbusier accompagné alors par un jeune ingénieur nommé Iannis Xenakis.
Partenariat CIRM / Opéra de Nice


Iannis Xenakis
Braïla (roumanie), 29 mai 1922
France, 4 février 2001
Compositeur, architecte, ingénieur civil, résistant de la Seconde Guerre Mondiale, condamné à mort, il est réfugié politique en France depuis 1947 et naturalisé français depuis 1965.
Il a étudié à l’Institut Polytechnique d’Athènes avant d’entreprendre des études de composition musicale à Gravesano avec Hermann Scherchen, puis au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris avec Olivier Messiaen. De 1947 à 1960, il est collaborateur de Le Corbusier en tant qu’ingénieur et architecte.
Inventeur des concepts de masses musicales, de musique stochastique, de musique symbolique, ayant introduit le calcul des probabilités et la théorie des ensembles dans la composition des musiques instrumentales, il fut l’un des premiers à se servir de l’ordinateur pour le calcul de la forme musicale. Pionnier également dans le domaine de l’électro-acoustique, auteur de plus d’une centaine d’oeuvres pour toutes formations, il apparaît aujourd’hui comme l’une des figures les plus radicales de l’avant-garde, ayant inventé la plupart des techniques compositionnelles caractéristiques de la musique d’après 1945, et aussi l’un des rares créateurs dont la vitalité ne s’est jamais démentie, et qui a, de plus, conquis un large public.
Architecte du Pavillon Philips à l’Exposition Universelle de Bruxelles en 1958 ainsi que d’autres réalisations architecturales telles que le Couvent de La Tourette (1955), il a composé Polytopes –spectacles sons et lumières – pour le Pavillon français de l’Exposition de Montréal (1967), pour le spectacle Persepolis, montagne et ruines de Persepolis, Iran (1971), pour le Polytope de Cluny, Paris (1972), pour le Polytope de Mycènes, ruines de Mycènes, Grèce (1978), pour le Diatope à l’inauguration du Centre Georges-Pompidou, Paris (1978).
Il est fondateur et président (1965) du Centre de Mathématique et Automatique Musicales (CEMAMU) de Paris ; Associate Music Professor de l’Indiana University, Bloomington (1967-1972) et fondateur du Center for Mathematical and Automated Music (CMAM), Indiana University, Bloomington (1967-1972) ; Il est aussi chercheur du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Paris (1970) ; Gresham Professor of Music, City University London (1975) et professeur à l’Université de Paris - Sorbonne (1972-1989).
Extrait du catalogue des éditions Salabert

Jonchaies pour grand orchestre
Commande de Radio France initiée par Claude Samuel, partition maîtresse de Iannis Xenakis écrite en 1977, Jonchaies a été “ composé de façon très subjective ”, comme en convient son concepteur. L’œuvre mobilise un effectif énorme, cent neuf musiciens, les instruments à vent par quatre, sauf clarinettes et cors, qui sont par six. Les cordes sont au nombre de soixante-dix afin de faire face à la masse des vents et de la percussion, et restent ainsi constamment audibles, mais, comme de coutume, Xenakis leur refuse toute dimension sensuelle et sentimentale, proscrivant une fois de plus le vibrato, quantité de ses partitions s’ouvrant sur l’avertissement général “ vibrato interdit ! ”. Le titre Jonchaies ne fait pas allusion au monde champêtre mais à la structure de la pièce, à sa polyphonie enchevêtrée, dense, fluctuante tel un tapis de joncs.
“ Le début de Jonchaies traite des “cribles” ou échelles de hauteurs d’une façon nouvelle et emploie une échelle non-octaviante spéciale, solution possible aux problèmes des structures hors temps. Puis, plus loin, elles traitent des “ cribles” du temps à l’aide de multiplicités de classes de timbres sur plusieurs niveaux, jouées par des sous-groupes de l’orchestre, et déterminant ainsi des plans de trajectoires qui s’enchevêtrent.
Jonchaies s’inspire des résultats obtenus et utilisés dans la Légende d’Eer, musique du Diatope du Centre Georges Pompidou, laquelle avait été complétée au Studio de Musique Electronique de la Westdeutscher Rundfunk de Cologne. Ces résultats sont issus de mes travaux théoriques sur la synthèse des sons et de la musique par ordinateur, travaux qui emploient une voie différente de celle de l’analyse harmonique classique de Fourier et que j’ai d’abord menés à Indiana University de Bloomington, puis au Centre d’Etudes de Mathématique et Automatique Musicales (CEMAMu) à Paris. Cette différence s’appuie sur des marches stochastiques et des mouvements browniens. En effet, d’après cette théorie que j’ai introduite voilà douze ans, on part du bruit et, à l’aide de fonctions stochastiques, on y injecte des périodicités. ”
Iannis Xenakis

Avec Jonchaies, composé en 1977 et créé le 21 décembre de cette année à Paris par l’Orchestre National, sous la direction de Michel Tabachnik, nous atteignons sans doute au plus haut chef-d’oeuvre purement symphonique de Xenakis, qui n’a mobilisé que cette seule fois des effectifs aussi grandioses : non moins de 1O9 musiciens, avec les vents par quatre (les clarinettes et les cors par six), soixante-dix cordes, et un retour en force de la percussion. Les peaux y prédominent, comme d’habitude, mais sans exclusivité. Le titre de Jonchaies (ce sont des plantations de joncs) ne possède évidemment aucune connotation pittoresque ou "bucolique", mais se réfère exclusivement à la structure de la pièce, à sa polyphonie enchevêtrée, dense, complexe et fluctuante à l’image même d’une jonchaie ! En sa franchise brutale, propre à effaroucher les natures délicates, qui n’ont pas manqué de crier à la vulgarité, cette oeuvre prend place plus que toute autre sans doute au rang des créations qui permettent de voir en Xenakis une sorte de Beethoven de notre temps, ne s’embarrassant pas davantage de fignolages et de vaines périphrases. Encore une fois, et c’est ce qui importe quant à l’impact de l’oeuvre sur les plus vastes publics, une énorme complexité de facture et de pensée résulte en une simplicité directe et péremptoire de l’expression.
Harry Halbreich, août 2001 © Timpani


Ivo Malec
Zagreb (Croatie), 1925
Ivo Malec est né en 1925 à Zagreb (Croatie), où il a fait ses études musicales et universitaires. Installé à Paris depuis 1959, il y est par la suite naturalisé français. Membre du Groupe de Recherches Musicales depuis sa fondation par Pierre Schaeffer en 1960, il a produit un nombre considérable de concerts et manifestations musicales et, notamment, le désormais traditionnel " Cycle Acousmatique ".
Professeur de composition au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris de 1972 à 1990, Ivo Malec a contribué à former une pléiade de jeunes compositeurs appartenant à la nouvelle génération de la musique française. Il a également donné des master classes en France et à l’étranger (Argentine, Canada, Chine, Japon).
Compositeur de très nombreuses œuvres touchant à tous les genres et techniques, allant de l’orchestre aux ensembles instrumentaux et vocaux, de la scène à la musique électroacoustique (concrète, analogique et numérique), il a été particulièrement attiré par les musiques " mixtes " sans oublier les instruments solo. Ainsi il " réussit la synthèse entre la musique traditionnelle et la technique électroacoustique ".
Joué en France et à l’étranger, Ivo Malec a eu les honneurs de la Philharmonie de Berlin, de l’orchestre National de France, de l’Orchestre Philharmonique de Radio France ainsi que de grands orchestres français, allemands, japonais et autres, sans parler d’innombrables ensembles musicaux de par le monde et des différents orchestres de haut-parleurs, dont le prestigieux " Acousmonium " de l’Ina-GRM.
Invité en tant que compositeur par de nombreux festivals, il y a souvent défendu la musique contemporaine également en tant que chef d’orchestre.
Commandeur des Arts et Lettres, il est lauréat de cinq Grands Prix du Disque, du Grand Prix de la SACEM, du Grand Prix National de la Musique en 1992, et de l’Ordre National du Mérite.

Œuvres principales :
• Pour orchestre, avec ou sans solistes : Sigma (1963), Oral (1967), Gam(m)es (1971), Ottava bassa (1983), Exempla (1994), Ottava alta (1995) ; Sonoris Causa (1997).
• Pour voix avec ou sans instruments : Cantate pour elle (1966), Lied (1969), Dodecameron (1970), Victor Hugo – Un contre tous (1971), Vox, Vocis, f. (1979).
• Pour ensembles divers ou instruments solo avec ou sans bande magnétique : Tutti (1962), Miniatures pour Lewis Carroll (1964), Lumina (1968), Arco – 11 (1975), Arco 22 (1976), Attacca (1985-86), Arco – 1 (1987), Doppio coro (1993), Saturnalia (1996).
• Pour bande magnétique seule : Dahovi (1961), Luminétudes (1968), Triola ou Symphonie pour moi-même (1978), Recitativo (1980), Carillon choral (1981), Week-End (1982), Artemisia (1991).

Discographie CD :
• Attacca, Week-End, Lumina, Gam(m)es – Actuel Salabert/Ina-GRM CSD 8901
• Attacca – Skarbo SK 3923
• Doppio coro, Artemisia, Triola, Cantate pour elle, Arco – 11 – Erato/Radio France 2292 455212
• Reflets – " Concert Imaginaire GRM " - Musidisc 244532 (Ina C 1000)
Les œuvres d’Ivo Malec sont éditées par : Breitkopf und Härtel – Casa Ricordi – Editions Françaises de Musique – Editions Salabert.

Œuvres principales
Pour orchestre, avec ou sans solistes :
Sigma (1963), Oral (1967), Gam(m)es (1971), Ottava
bassa (1983), Exempla (1994), Ottava alta (1995) ;
Sonoris Causa (1997).
Pour voix, avec ou sans instruments :
Cantate pour elle (1966), Lied (1969), Dodecameron (1970), Victor Hugo – Un contre tous (1971), Vox, Vocis, f. (1979).
Pour ensembles divers ou instruments solo avec ou sans bande magnétique :
Tutti (1962), Miniatures pour Lewis Carroll (1964), Lumina (1968), Arco – 11 (1975), Arco 22 (1976), Attacca (1985-86), Arco – 1 (1987), Doppio coro (1993), Saturnalia (1996).
Pour bande magnétique seule :
Dahovi (1961), Luminétudes (1968), Triola ou Symphonie pour moi-même (1978), Recitativo (1980), Carillon choral (1981), Week-End (1982), Artemisia (1991).
Discographie CD :
Attacca, Week-End, Lumina, Gam(m)es – Actuel Salabert/Ina-GRM CSD 8901
Attacca – Skarbo SK 3923
Doppio coro, Artemisia,
Triola, Cantate pour elle,
Arco – 11 – Erato/Radio France 2292 455212
Reflets – “ Concert Imaginaire GRM ” - Musidisc 244532
(Ina C 1000)
Les œuvres d’Ivo Malec sont éditées par Breitkopf und Härtel, Casa Ricordi, Editions Françaises de Musique, Ed. Salabert.

Arc-en-cello
concerto pour violoncelle et grand orchestre
[Création mondiale]
Commande de l’Etat
Il ne faudrait pas voir dans ce titre seulement une allusion à quelque poétique des couleurs. Bien que ce ne soit pas faux, je dirais néanmoins que ma préférence a toujours été - comme ici-même – du côté de couleurs plus éclatantes que celles, un peu humides, de l’arc-en-ciel. Mais il ne faut surtout pas manquer d’y voir un autre aspect, se réfèrant, lui, au travail concret, au lien avec le geste instrumental, à ce que l’on peut rêver pour un arc(het) en fusion avec le (violon) cello.
Ayant déjà écrit un concerto pour contrebasse (Ottava bassa) et un autre pour violon (Ottava alta), j’ai souhaité tout naturellement “ combler ” l’espace entre les deux, et cela d’autant plus que la mystérieuse attirance qu’exerce le violoncelle sur pratiquement tous les compositeurs, ne m’a pas qu’effleuré. (La langue française n’y a-t-elle pas succombé elle aussi, en essayant de féminiser son patronyme italien de violoncello en lui donnant du “ elle ”, comme pour rappeler que son masculin d’origine était du féminin ?)
Arc-en-Cello est composé de deux grandes parties enchaînées, dont chacune comporte parfois des éléments de l’autre. Commencée dans l’extrême grave, la première annonce dans ses lents unissons étirés, une manière – assez généralisée par la suite – de souligner, d’épaissir, d’amincir ou de recouvrir, comme avec un feutre transparent, les lignes sonores. Montée soudainement vers l’extrême aigu, elle ouvre alors à l’instrument soliste tout l’espace entre les deux, ce spectre étonnant du violoncelle qui correspond parfaitement à celui des voix, hommes et femmes réunis.
à cette première partie très énergique, souvent tendue mais détendue aussi, pleine de rapidités et d’éclats mais de retenue aussi, succède la seconde qui sera dominée par une succession de petites “ scènes ”, de petites “ pensées ”, de brèves “ réflexions ” – séparées par quelques silences ou de très courts cœurs de cuivre – d’une sorte d’intériorité qui engendre un discours particulier aux sons souvent voilés. Cette attitude contemplative se prolonge pratiquement jusqu’à la fin non sans quelques perturbations, ce qui correspond aux nécessités de la forme, sinon à la réalité de la vie. Quant au rapport entre l’instrument solo et l’orchestre, il n’est ni ce “ dialogue ” ni de “ partenariat ” : il serait plutôt de fusion, au point que l’un sans l’autre n’aurait guère de sens. Idéalement, l’orchestre est pensé comme prolongement du violoncelle qui, débordant sa propre partie, jouerait également celle de l’orchestre si, par je ne sais quel miracle, ce pouvoir lui était donné.
Ivo Malec 2003

Edgard Varèse
Paris (France), 22 décembre 1883
New York, 6 novembre 1965
Né à Paris, il vit à Turin où il entame ses études musicales. En 1903,il va à Paris où il les achève avec d’lndy, Roussel et Widor. Il écrit ses premières compositions, part à Berlin et se fait apprécier de Busoni et Debussy. Il se trouve parmi les premiers auditeurs du Pierrot lunaire de Schoenberg et du Sacre de Stravinsky. En 1914, il part aux états-Unis où il entame un nouvel itinéraire de compositeur-chercheur-innovateur radical. Tout en se consacrant à la direction d’orchestre (fondation du New Symphony Orchestra, 1919) et à l’organisation et promotion de la musique contemporaine, il met la main, avec Amériques qu’il achèvera en 1922, à une série de compositions qui l’imposeront comme l’un des représentants les plus avancés dans la découverte de nouveaux territoires. Son activité est intense (il fonde, avec Chavez et Cowell entre autres, la PanAmerican Association of Composers). Entre 1928 et 1933, il est de nouveau en France où il a maintenu des liens avec Picasso et Cocteau, et se lie avec Jolivet et Villa-Lobos.
En 1934, commence une période de crise due à son insatisfaction créatrice qui le mène à travers les états-Unis, fondant de nouvelles institutions musicales. Il se consacre à des recherches qui ne se concrétisent pas en oeuvres musicales : entre 1934 (Ecuatorial), et 1950, il n’écrit que Densité 21,5 pour flûte, Etude pour espace pour choeur, deux pianos et percussion (exécutée une fois), et Dance for Burgess.
La fin de sa vie voit une vigoureuse reprise de son essor créatif, avec des chefs-d’oeuvres comme Déserts et Nocturnal, et par la pleine reconnaissance internationale de son extraordinaire talent de compositeur. Il s’intéresse à l’activité des jeunes musiciens qui participent aux Ferienkurse de Darmstadt où il enseigne. Il reçoit des commandes prestigieuses (Le Corbusier : Poème électronique, Exposition Universelle, Bruxelles 1958) et diverses distinctions. Ses oeuvres sont enregistrées et commencent à jouir d’une diffusion plus étendue.
Il s’éteint sans avoir pu mettre en musique le texte d’Henri Michaux, Dans la nuit.

Amériques
pour grand orchestre 1920-1921, version définitive 1929
"Dans Amériques, j’ai bien sûr employé une grande quantité de sons qui ont pu produire des effets insolites. Mais c’est un non-sens de considérer cette œuvre comme représentant mon interprétation de la vie moderne en Amérique. "
À plusieurs reprises, d’abord après la création de son œuvre à Philadelphie en avril 1926, puis de nouveau à Paris au printemps 1929, lorsqu’en fut exécutée la nouvelle version, Edgar Varèse fut contraint de s’expliquer, voire de se justifier, pour éviter les malentendus. Bien des années plus tard, il ressentira le besoin d’une nouvelle mise au point : "Un titre est généralement donné après que la partition a été terminée, pour cataloguer l’œuvre, ou il peut me venir à l’esprit pendant que je compose, mais il dérive toujours de quelque association d’idées en rapport avec la partition, et il exerce, inutile de le dire, une attraction sur mon imagination personnelle. Je ne considérais pas le titre Amériques comme purement géographique, mais comme symbolique des découvertes - de nouveaux mondes sur la terre, dans le ciel ou dans l’esprit des hommes."
De telles explications ne sont plus aussi nécessaires aujourd’hui. Si l’on y réfléchit bien, seule l’utilisation des deux sirènes, qui font leur apparition dès la deuxième minute de l’œuvre, peut objectivement évoquer la mégapole contemporaine - cette utilisation, il est vrai, ne pouvait manquer de frapper les esprits à l’époque. Pour le reste, nous sommes plutôt en face d’une musique "barbare", voisine en apparence, mais en apparence seulement, de l’explosion tellurique que fut, pour les oreilles des spectateurs de Ballets Russes, le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky en 1913. Une musique des forces essentielles, primitives, ici gouvernées par les lois des règnes minéral, végétal, animal, bien plus que par celles de l’activité humaine. Mais n’est-ce pas précisément cette puissance, cette brutalité absolue, qui fait de l’œuvre qu’Edgar Varèse considéra désormais comme son opus 1 une représentation intuitivement très juste, quoique abstraite, du continent américain ?
Le compositeur français était arrivé à New York en 1915, cinq ans avant d’entreprendre la composition d’Amériques. Il eut tout le temps nécessaire pour se pénétrer de ce Nouveau Continent qui, aux Européens de l’époque, pouvait encore apparaître comme une terre étrangement vierge et fascinante. Vierge par son immensité et les proportions surhumaines qu’y prennent les vastes étendues de plaines, de forêts, de déserts, de montagnes, par opposition à un territoire européen fortement morcelé. Vierge aussi au plan de la civilisation. La culture des Indiens, celle des noirs - le jazz n’était pas encore sorti de son ghetto - et celle, d’origine européenne, qui se concentrait dans quelques grandes villes, restaient toutes trois enclavées. L’espace pour de nouvelles expressions artistiques était presque aussi large, béant, que les immenses étendues du Middle-West ou de l’Arizona.
À l’époque où Edgar Varèse entreprend la composition d’Amériques, Charles Ives vient de terminer sa Quatrième Symphonie, célèbre pour ses invraisemblables superpositions de musiques confiées à plusieurs groupes de l’orchestre, chacun jouant, en parfait décalage avec les autres, une partition différente. Henry Cowell, de son côté, a inventé le "cluster", ce mode de jeu qui consiste, pour le pianiste, à plaquer ses avants-bras sur le clavier pour faire entendre en une joyeuse dissonance toutes les notes possibles d’un accord qui n’est plus qu’un grand bruit percussif. Tous deux auront, dans la seconde moitié du siècle, un fils spirituel en la personne de John Cage, facétieux explorateur de vérités musicales qu’il découvrira avec la même ingénuité, la même liberté.
Tous deux auront été aussi des compagnons de route pour Edgar Varèse dans ses entreprises successives de défense et illustration de la musique moderne, au travers d’associations telles que la International Composer’s Guild et la Pan American Association of Composers, qui, dans l’entre-deux-guerres, font découvrir à un public ébahi les audaces musicales de l’Ancien et du Nouveau Continent. Ces associations auront permis en outre à Edgar Varèse de se lier aux compositeurs de l’Amérique latine, plus imprégnés de musiques populaires, précolombiennes ou coloniales, que leurs confrères des états-Unis. Avec les Mexicains Carlos Chavez et Silvestre Revueltas, le Cubain Amedeo Roldan, le Brésilien Heitor Villa-Lobos, Edgar Varèse partage un goût du son brut, naturel, qui va s’imposer toujours plus dans sa musique, pour devenir en 1929 la matière même de son œuvre la plus célèbre, Ionisation, première grande partition jamais conçue pour les seuls instruments de percussion.
En 1920, alors qu’il compose Amériques, Edgar Varèse n’en est pas encore là. Pourtant, éloigné de l’Europe où sa nature profonde de novateur se heurtait sans cesse aux conceptions étroites issues de la sacro-sainte tradition, il parvient d’un coup à cette "libération des sons" qu’il appelait de ses vœux depuis de longues années déjà. Sa démarche remet fondamentalement en cause tous les paramètres de la composition et leur hiérarchie. En tête, Varèse place désormais le son – qui n’a rien à voir pour lui avec la note, cette valeur, en fait abstraite, inscrite dans les échelles tempérées –, un son qu’il utilise avec une pleine conscience de tous ses paramètres. S’il est long ou bref, tendu ou détendu, fort ou faible, chargé ou non d’harmoniques, un son produira chaque fois un effet différent, et il sera aussi perçu de manière différente en fonction des autres sons qui l’entourent. Pour cette raison, Varèse ne pose jamais une note sur le papier sans savoir à quel instrument il la confiera. Il orchestre en composant, à la différence de ses devanciers pour qui l’instrumentation était comme un habillage des lignes mélodiques. Autre dimension importante pour Varèse, et que peu de musiciens avaient exploré avant lui : l’espace. Amériques se présente comme une partition en trois dimensions, avec des plans soigneusement étagés qui contribuent à sculpter la rythmique et la forme de l’œuvre.
Le rythme, pour ce compositeur visionnaire, ne doit pas être confondu avec la métrique, c’est-à-dire avec ces paquets de brèves et de longues qui ne font que rappeler, de près ou de loin, le débit de la parole humaine. Il est une chose plus essentielle, issue des grands phénomènes physiques qui gouvernent la planète et même le cosmos ; il repose sur des fondamentaux de vitesse, de régularité, d’accélération, de rupture ; il participe ainsi à la définition du timbre, mais aussi de l’espace. C’est d’ailleurs sous l’angle du rythme que les partitions d’Amériques et du Sacre du Printemps s’opposent bien plus qu’elles ne se rapprochent. Pour Stravinsky, le rythme se définit encore par rapport à la métrique pour mieux la contredire, la tordre. Chez Varèse, il n’est pas animation mais mouvement profond. Un mouvement qui engendre l’œuvre tout entière et en définit la forme, comme le compositeur l’expliquera lui-même trente ans plus tard : "Chacune de mes œuvres découvre sa propre forme. Je n’ai jamais tenté d’ajuster mes idées aux dimensions de quelque récipient que ce soit. Concevant la forme musicale comme une résultante, le résultat d’un processus, j’ai senti en ceux-ci une étroite analogie avec le phénomène de cristallisation. (...) Il y a d’abord l’idée; c’est l’origine de la structure interne ; cette dernière s’accroît, se clive selon plusieurs formes ou groupes sonores qui se métamorphosent sans cesse, changeant de direction et de vitesse, attirés ou repoussés par des forces diverses. La forme de l’œuvre est le produit de cette interaction. Les formes possibles sont aussi innombrables que les formes extérieures des cristaux."
Ainsi, dans Amériques, faut-il entendre les accents de flûte, de trompettes, de trombones, de cordes, les hurlements des sirènes et les tempêtes de la percussion comme autant d’éléments d’une "géométrie sonore" dans l’espace et le temps, animés de mouvements tantôt convergents, tantôt contradictoires, qui vont aboutir à l’ultime confluence du terrible ostinato final. Plus qu’à la grande ville américaine c’est bien à des phénomènes à la fois physiques et naturels, éruptions, cataractes, nuages de météorites, que doit faire songer le premier chef-d’œuvre d’un compositeur hanté par le son, l’espace, le mouvement, ces grands phénomènes de l’univers qui nous entoure, et par les lois élucidées ou mystérieuses qui les gouvernent. Féru de physique et d’alchimie, admirateur de Paracelse et de Léonard de Vinci, Edgar Varèse rêvait depuis longtemps à la réunion de l’art et de la science, de la nature et de l’intellect. Il n’est pas surprenant que l’Amérique lui ait offert l’espace pour concrétiser enfin cette union. Il n’est pas surprenant, non plus, qu’Edgar Varèse ait tenu à dédier à ce continent – en ajoutant symboliquement un "s" à son nom – une œuvre qu’il avait pensé, sentie, voulu, "comme symbolique des découvertes – de nouveaux mondes sur la terre, dans le ciel ou dans l’esprit des hommes."
Alain Surrans

Pascal Rophé
Pascal Rophé fait ses études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et remporte le deuxième Prix du Concours international des jeunes chefs d’orchestre de Besançon (France) en 1988.
à partir de 1992, il travaille avec Pierre Boulez et David Robertson au sein de l’Ensemble Intercontemporain qu’il dirige plusieurs fois par saison. Il dirige également, en France, les Orchestres Nationaux de Lyon, Montpellier, de l’Ile de France et l’Orchestre National de France ainsi que de nombreux orchestres européens.
Il collabore régulièrement avec l’Orchestre de la B.B.C à Londres, l’Orchestre Philharmonique de Liège, l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg et divers Orchestres de radio en Europe.
Il est devenu l’un des spécialistes de sa génération du répertoire du XXe siècle et travaille toujours avec la plupart des grands ensembles européens, se consacrant à la musique contemporaine. Il aborde de plus en plus le grand répertoire symphonique des deux derniers siècles sans oublier l’opéra auquel il se consacre au moins deux fois par an.
Son activité discographique en expansion depuis deux ans a vu la plupart de ses enregistrements récompensés.

Philippe Muller
Né en Alsace, Philippe Muller a été marqué par les traditions musicales à la fois françaises et allemandes qui sont propres à sa région. Il en a gardé un esprit ouvert aux différentes cultures qui trouve aujourd’hui à s’exprimer dans une carrière aux facettes multiples.
Interprète d’un répertoire délibérément éclectique, il se produit en soliste, mais aussi comme membre de diverses formations de musique de chambre.
De nombreux festivals l’invitent régulièrement dans le monde entier, notamment en Europe, en Amérique du nord et en Extrême-Orient. Ces derniers mois l’ont vu se produire au festival de Naantali (Finlande), à “Musicorda”, dans l’état du Massachussets, au Domaine Forget, Canada, à Courchevel, Biarritz et enfin à Seoul, Corée, où il participait à une série de concerts donnés à l’occasion de l’ouverture d’une nouvelle salle.
Le trio qu’il a fondé, en 1970, avec Jean-Jacques Kantorow et Jacques Rouvier continue à soulever l’enthousiasme de la critique.
Depuis 1979, il enseigne le violoncelle au Conservatoire de Paris, succédant à son maître André Navarra. Philippe Muller a formé un grand nombre d’élèves dont certains font déjà une carrière remarquable. Il est invité à donner des “masterclasses” dans les centres pédagogiques les plus prestigieux.
De 1976 à 1983, il fait partie des solistes de l’Ensemble Intercontemporain et effectue à ce titre de nombreuses créations. En 1987, il fait la connaissance d’Ivo Malec. Il jouera plusieurs fois son oeuvre Arco 1, pour violoncelle solo, avant de l’enregistrer en 1999.
Sa discographie abondante est le reflet de sa personnalité et aborde avec un égal bonheur les œuvres de Vivaldi, Bach, Beethoven, mais également Fauré, Ravel, Martinu et Malec.

 

CIRM, Centre National de Création Musicale
33 avenue Jean Médecin, 06000 Nice
04 93 88 74 68 - Fax 04 93 16 07 66
Email : info@cirm-manca.org

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